Manuel de survie au pays de la reconversion ou comment assumer sa reconversion face aux autres

Manuel de survie au pays de la reconversion ou comment assumer sa reconversion face aux autres

A chaque fois que je dis à mon interlocuteur que je suis en reconversion, son visage prend une expression que j’ai parfois du mal à interpréter. Ma réponse met souvent mal à l’aise, génère de la peur, suscite de la curiosité, voire de l’admiration.

Et si on dédramatisait la reconversion ? Pour grand nombre, elle est synonyme de chômage, oui vous savez ce mot qu’il est interdit de prononcer quand on est en recherche d’appartement. Pourtant, derrière ce mot dont on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom se cache une foule de choses insoupçonnées.

J’ai décidé de me reconvertir il y a un an. Dire que je suis en reconversion aujourd’hui ne me pose plus aucun problème, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je vous raconte dans cet article par quoi je suis passée pour en arriver là et ce que j’en ai appris.

Au début, … tous les débuts sont merveilleux, n’est-ce pas ? J’étais tellement heureuse de mon choix que je le criais presque sur tous les toits. J’essayais de le placer dans toutes les conversations, tellement fière de moi, avec un sourire jusqu’aux oreilles. Puis, quand j’ai commencé à voir les questions que cela générait ou les angoisses que cela suscitait, mon sourire s’est de plus en plus crispé. « Oui, moi je suis en reconversion, et sinon tu fais quoi ce weekend ? ». Je restais très évasive en expliquant qu’après tout, « Je n’en suis qu’au début ».

Ensuite, je me suis lancée dans la stratégie de « l’évitement ». Quoi qu’il se passe, j’avais la ferme intention de ne pas en parler. Avec le recul, je dirai que cette stratégie a été la pire qui soit mais le meilleur des apprentissages. J’avais beau essayer d’éviter d’en parler, j’avais l’impression que les gens lisaient dans mes pensées et abordaient le sujet volontairement pour m’embêter. Finalement, je me suis assez vite rendue compte qu’il était très difficile d’éviter la fameuse question « Tu fais quoi dans la vie ? » qui est la question qui remporte la première place dans tout(e)s les soirées/anniversaires/apéros/ conférences/ateliers auxquels j’ai participé. Elle est fatigante cette question, non ? Résumer quelqu’un par son travail n’est-il pas un peu trop rapide ?

Pour ne pas m’avouer vaincue trop tôt, je l’anticipais donc au maximum en faisant en sorte d’aiguiller la conversation vers des sujets bien plus éloignés. Mais quel boulot, en fait ! Lasse de voir ma nouvelle stratégie prendre l’eau aussi rapidement, je me suis prise au jeu et ai détourné la question. Je répondais : « moi, j’aime la course à pieds, d’ailleurs j’ai couru mon premier marathon cette année, j’adore lire surtout des romans policiers, j’aime aussi la mer et le chocolat noir ». Ma réponse faisait la plupart du temps sourire mon interlocuteur qui se sentait même un peu gêné. Le plus drôle c’est que régulièrement, nous arrivions à enchaîner sur un autre sujet « Ah bon tu aimes lire, ça tombe bien je cherche des polars pour l’été, tu pourrais me conseiller ? ». Jackpot, j’avais réussi ! Malheureusement, certains n’étaient pas dupes et persévéraient « Non, mais sérieusement, tu fais quoi dans la vie, vraiment je veux dire ? ». Avant de répondre, j’attendais quelques secondes, espérant être miraculeusement sauvée par une amie, le serveur venu récupérer mon verre vide ou l’alarme incendie (je l’attends toujours) et je me lançais dans l’explication de ma démarche de reconversion en restant évasive. J’en profitais également pour rappeler gentiment à mon interlocuteur -ce que je fais toujours d’ailleurs – que je ne suis pas que mon travail.

Ayant bien vu que la stratégie de l’évitement ne fonctionnait pas systématiquement, j’ai décidé de passer à celle de « j’assume ma reconversion mais pas trop quand même » ce qui donnait : « Oui donc, je suis en reconversion dans l’écologie. Voilà, je me cherche, je fais des formations, je vais certainement me lancer à mon compte, pour l’instant ce n’est pas encore bien clair, on en reparlera plus tard si tu veux bien ». Assez expéditif donc mais suscitant toujours autant d’intérêt. Les questions des plus curieux : « Ah bon tu te reconvertis, mais c’est super, dis-m’en plus, je veux savoir !» ; des plus admiratifs « Ah oui c’est super, mais vaut mieux toi que moi, il faut avoir du courage, moi je ne pourrai pas » ; aux plus angoissés (et là elles sont nombreuses) « Ah bon mais tu n’as pas peur de manquer d’argent ? » ou « Tu n’as pas peur que ça ne marche pas » ou « Tu es trop jeune enfin pour te reconvertir voyons tu n’as travaillé que 4 ans ». Oui, comment te dire, je ne compte pas me reconvertir à la retraite, d’ailleurs je ne suis même pas sûre d’en avoir une ! Les questions des plus angoissés revenaient régulièrement au point que je ne savais plus comment les gérer et elles en arrivaient à me faire douter de ma décision.

Ces stratégies ont fonctionné un temps comme vous vous en serez doutés. En revanche, elles m’ont toutes été utiles et m’ont permis de comprendre de nombreuses choses. Lorsque je participais à des soirées réseau, je me retrouvais avec des gens dans ma situation ce qui me permettait de souffler. Mais, dans la plupart des cas, la reconversion est encore un sujet sensible car dans la tête de nombreuses personnes cela signifie que je suis au chômage donc sans emploi donc pas dans la norme donc pas « normale » -bien que j’insiste, la normalité n’existe pas. Je me suis aperçue que lorsque les gens me demandaient « si je n’avais pas peur » ou me disaient « qu’il fallait beaucoup de courage pour se reconvertir » en fait, ils parlaient d’eux. Ce sont leurs peurs, pas les miennes. J’ai compris qu’à l’évocation du mot reconversion, ils étaient en train de s’imaginer ce qu’eux feraient s’ils étaient dans ma situation et cela les effrayait ; ce que je peux comprendre. Il faut le reconnaître, se reconvertir lorsqu’on n’a pas d’idée précise de ce que l’on veut faire et qu’on ne sait pas combien de temps cela va prendre m’a effrayée un temps. Je me suis également rendue compte que pour d’autres, reconversion signifiait ne rien faire de sa journée. En fait, j’ai un emploi du temps plus chargé que lorsque je travaillais. Entre mes séances de coaching, mes formations, mes soirées réseau, mes entretiens réseau, l’écriture, la lecture, le sport, la méditation, mes moments de rien-du-tout (oui c’est important !) mon agenda se remplit à une allure folle.

Les différents échanges que j’ai eus m’ont également appris à m’écouter. Si je n’ai pas envie de parler ou si l’autre cherche à se rassurer (inconsciemment) en me posant toutes les questions que je vous ai citées plus haut, j’arrête poliment la conversation et la dirige vers un autre sujet. Se forcer à parler, quel intérêt ? Apprendre à dire « non, je n’ai pas envie d’en parler » a été une libération.

En entendant tous ces propos, je me suis souvenue pourquoi j’avais pris la décision de me reconvertir. La vision de mon ennui et non-sens au travail a suffi pour me rappeler que j’étais sur le bon chemin. J’ai donc décidé de voir cette période comme une chance, une opportunité d’avoir le temps pour trouver ce qui me plaît et me fera lever le matin avec une énergie incroyable. Nous sommes dans un système où nous passons notre vie à courir après le temps les yeux rivés sur nos écrans en faisant souvent un travail qui ne nous plaît pas. Je pense vraiment que nous ne sommes pas venus sur terre pour cela. Cette période est une parenthèse que je souhaite à tout le monde.

Finalement, je remercie toutes ces personnes que j’ai rencontrées qui intentionnellement ou non ont véhiculé de la peur, de l’angoisse, l’admiration ou de la curiosité face à ma situation. Elles m’ont rendu un grand service. Elles m’ont permis d’assumer mon choix, de m’affirmer et d’expliquer mon intention.

Vous allez maintenant me demander comment je réponds aujourd’hui quand on me parle de ma reconversion. Je suis entrée dans la stratégie, « j’assume ma reconversion à 100% ». Voici ce que je réponds d’ailleurs : « En ce moment, je prends du temps pour moi, pour me retrouver et trouver ce qui me fait vibrer. Je n’ai pas de doute, je vais trouver ce qu’il me faut, ce qui me fait envie. Je sais que je suis sur le chemin de ma réalisation personnelle ». Cette phrase donne une autre impulsion à la conversation qui provient de l’énergie que je mets dans mes mots. Je crois profondément en ce que je dis et mon interlocuteur le ressent ce qui peut même calmer ses inquiétudes. Même si la personne me pose d’autres questions par la suite, je suis beaucoup plus sereine pour y répondre. D’ailleurs, je vous le dis, aujourd’hui, je suis en train de trouver ma voie qui se tournera vers l’écriture, la parole et l’écologie. Je fais ce qu’il faut dans ce sens. Et je ne me sens plus obligée d’en parler si je n’en éprouve pas l’envie.

J’ai aussi gardé de cette expérience celle de me présenter autrement et d’éviter de poser la question « et toi tu fais quoi dans la vie ? » et j’invite tout le monde à faire de même. Faites l’exercice et vous serez surpris. Il y a une barrière invisible qui se crée lorsqu’on parle de nos métiers qui est souvent, pleine de préjugés. Lors d’une formation, nous avions eu pour consigne de ne pas dire ce que nous faisions dans la vie. Si cela déstabilise un temps, nous nous sommes vite rendus compte qu’il y avait tellement d’autres sujets à aborder. Nous nous sommes trouvés de nombreux points communs qui je suis sûre, n’auraient jamais émergé si nous avions connu nos métiers. Car oui, même un responsable des achats peut adorer les romans policiers, une directrice générale être passionnée de yoga ou un consultant sensible à l’écologie au point de faire lui-même sa lessive.

Si vous allez traverser ou si vous traversez déjà cette période et ses questionnements qui vont avec, je vous donnerai le conseil de vous écouter car vous êtes le seul à savoir ce qui est juste pour vous.

Article écrit le 17 septembre 2019.

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